La rémunération des « prestations artistiques » exécutées en France doit donner lieu à la retenue à la source de l’article 182 A bis du code général des impôts (ci-après CGI) lorsqu’elle est payée par un débiteur qui exerce une activité en France à une personne, personne physique ou société, relevant de l’impôt sur le revenu ou de l’impôt sur les sociétés, qui n’a pas en France d’installation professionnelle permanente.
Cette retenue à la source ne s’applique-t-elle qu’à la rémunération des « prestations artistiques » stricto sensu ou bien s’étend-elle également à la rémunération des éléments accessoires, tels que les prestations de services ou les cessions de droit ?
Grâce à son spectacle des « Vieilles Canailles », Johnny Hallyday a permis, bien malgré lui, de préciser la notion de « prestations artistiques » et, en conséquence, le champ d’application de la retenue à la source de l’article 182 A bis du CGI.
Dans sa décision « Encore B », du nom du producteur de Johnny Hallyday (CE 5 juillet 2022 Encore B, req. n° 455789, publié aux Tables), le Conseil d’Etat a ainsi jugé que relèvent de l’article 182 A bis du CGI non seulement les prestations artistiques stricto sensu mais aussi « les prestations qui en constituent l’accessoire indissociable », tels que les cessions de droit et les prestations de services.
Rémunération de Johnny Hallyday pour son spectacle des « Vieilles Canailles »
Le spectacle des « Vieilles Canailles » a réuni sur scène, au palais omnisport de Paris Bercy, du 5 au 10 novembre 2014 (soit 6 représentations), trois légendes de la chanson française : Johnny Hallyday, Jacques Dutronc et Eddy Mitchell. Ce spectacle a été produit par une société française, la société Encore B.
Le 30 octobre 2014, en vue de la réalisation du spectacle des « Vieilles Canailles », la société Encore B avait signé un « contrat de prestation de services et de cession de droits » avec la société Bornrocker, société de droit américain dont Johnny Hallyday était le président.
Par ce contrat, Johnny Hallyday s’engageait notamment à participer aux répétitions et aux représentations et à concéder au producteur les droits de propriété intellectuelle pour la promotion du spectacle.
En contrepartie, le contrat prévoyait le versement à Bornrocker d’une rémunération de 1 500 000 euros, avant déduction de la retenue à la source de l’article 182 A bis que la société Encore B devait précompter et reverser au Trésor public.
Si la société Encore B a bien payé à Johnny Hallyday, via sa société Bornrocker, la rémunération de 1 500 000 euros prévue au contrat, elle n’a cependant pas appliqué la retenue à la source de l’article 182 A bis du CGI sur la totalité de cette rémunération. En effet, elle a distingué comptablement :
- des versements à titre de « salaires », à hauteur de 900 000 euros, qui ont soumis à la retenue à la source
- et des versements au titre des coûts de production, à hauteur de 600 000 euros, qui n’y ont pas été soumis.
A la suite d’une vérification de comptabilité de la société Encore B, l’administration fiscale a considéré que c’est à tort que la seconde partie de la rémunération de Johnny Hallyday n’avait pas été soumise à la retenue à la source de l’article 182 A bis du CGI. En conséquence, elle a notifié à la société Encore B un supplément de retenue à la source assorti de pénalités fiscales.
Retenue à la source applicable à la rémunération de Johnny Hallyday
Dans sa décision « Encore B » précitée, le Conseil d’Etat a jugé qu’entrent dans le champ d’application de l’article 182 A bis du CGI toutes « les prestations qui constituent l’accessoire indissociable » des prestations artistiques, tels que les cessions de droit et les prestations de services.
Cette solution se comprend aisément. Un spectacle ne peut pas se tenir sans la concession par l’artiste au producteur du droit d’exploiter son nom et son image. La concession au producteur des droits de propriété intellectuelle pour la promotion du spectacle s’avère de ce fait indissociable de la prestation artistique elle-même, si bien que sa rémunération doit suivre le même régime fiscal que la rémunération de cette dernière.
Au cas présent, à la lecture du contrat conclu entre Encore B et Bornrocker, il apparaît que la société Bornrocker concède « les droits tirés de la création du contenu des prestations scéniques de l’artiste », « le droit de produire et exploiter les prestations scéniques de l’artiste », « les droits d’utilisation qu’elle détient sur les textes originaux créés pour les besoins du spectacle » et, aux fins de la promotion et de la publicité du spectacle, le droit d’utiliser la dénomination « Vielles Canailles », le droit d’utiliser le nom et l’image de Johnny Hallyday et l’autorisation donnée à des représentants de médias radiophoniques ou télévisuels d’enregistrer des séquences du spectacle.
Tous ces droits se rattachent directement aux prestations artistiques de Johnny Hallyday fournies au cours des six représentations du spectacle « Les Vieilles Canailles ».
Pour ce motif, la société Encore B aurait dû soumettre à la retenue à la source de l’article 182 A bis la rémunération de l’ensemble de ces droits qui lui avaient été concédés.