Article 209 B du CGI : Comment qualifier, au regard des conventions fiscales tendant à éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur les revenus, les bénéfices réalisés par une société établie à l’étranger dans un Etat à fiscalité privilégiée et réputés constituer des revenus de capitaux mobiliers de la société résidente de France qui en possède le contrôle ?
Dans une décision « Société Rubis » rendue le 13 mars 2025 (CE 13 mars 2025 Société Rubis, req. n° 488080, publié au recueil), le Conseil d’Etat a jugé que les bénéfices réalisés à l’Ile Maurice par la filiale mauricienne d’une société résidente de France, et réputés constituer des revenus de capitaux mobiliers de cette dernière en application de l’article 209 B du code général des impôts (CGI), constituent des revenus relevant de la « clause balai » prévue au 1 de l’article 22 de la convention franco-mauricienne du 23 juin 2011. Il en résulte que ces revenus de capitaux mobiliers sont imposables exclusivement en France, en tant qu’Etat de résidence de la société bénéficiaire.
Article 209 B du CGI : un dispositif anti évasion fiscale
Pour rappel, l’article 209 B du CGI a pour objet de dissuader une société française d’implanter une filiale dans un Etat à fiscalité privilégiée où ses bénéfices seraient beaucoup moins imposés qu’en France puis de thésauriser ces bénéfices dans la filiale ; ce qui empêcherait leur imposition en France faute de distribution à la société mère française.
Les principales conditions d’application de ce dispositif anti évasion fiscale sont :
- la détention par la société française d’au moins 50 % des titres de la société étrangère
- et l’application à la société étrangère d’un régime fiscal privilégié au sens de l’article 238 A du CGI, à savoir soit l’absence de toute imposition de la filiale dans son État de résidence, soit l’assujettissement à un impôt dont le montant est inférieur de plus de la moitié à celui dont elle serait redevable dans les conditions de droit commun en France, si elle y était établie.
Il existe toutefois des clauses de sauvegarde permettant d’échapper à l’application de ce dispositif.
Lorsque les conditions d’application de l’article 209 B du CGI sont réunies et qu’aucune clause de sauvegarde ne peut être invoquée, les bénéfices de la filiale étrangère, alors même qu’ils ne sont pas effectivement distribués à la société française, sont regardés comme ayant été distribués à cette dernière, à proportion de ses droits dans le capital de la société étrangère, et sont de ce fait imposés en France.
Au cas où il existerait une convention fiscale bilatérale entre la France et l’Etat d’implantation de la filiale, cette convention pourrait-elle permettre d’échapper à l’imposition en France des bénéfices réputés distribués ?
Article 209 B du CGI dans sa rédaction antérieure à la loi de finances pour 2005
Dans sa rédaction antérieure à la loi de finances pour 2005, l’article 209 B du CGI permettait d’imposer en France, au nom de la société mère établie en France, non pas les bénéfices réputés distribués par la filiale établie à l’étranger mais « ses résultats bénéficiaires dans la proportion des droits sociaux » détenus par la société mère.
Dans sa décision « Société Schneider Electric » (CE Ass. 28 juin 2002 Société Schneider Electric, req. n° 232276, publié au recueil), le Conseil d’Etat avait jugé que ce dispositif était contraire à la convention fiscale franco-suisse donnant une compétence exclusive à la Suisse pour imposer les bénéfices d’une entreprise de Suisse n’ayant pas d’établissement stable en France ; ce qui avait pour effet de neutraliser l’application de l’article 209 B du CGI.
En réaction à cette jurisprudence, le législateur a, par la loi n° 2004-1484 du 30 décembre 2004 de finances pour 2005, modifié le texte de l’article 209 B du CGI afin de pouvoir désormais imposer en France non plus les résultats bénéficiaires de la filiale établie à l’étranger mais ses bénéfices réputés distribués à la société établie en France.
Article 209 B du CGI dans sa rédaction résultant de la loi de finances pour 2005
Cette nouvelle rédaction de l’article 209 B du CGI est-elle conforme aux conventions fiscales bilatérales conclues par la France ?
Dans sa jurisprudence « Société Rubis » rendue le 13 mars 2025 (CE 13 mars 2025 Société Rubis, req. n° 488080, publié au recueil), le Conseil d’Etat a validé le dispositif anti évasion fiscale de l’article 209 B au regard de la convention fiscale franco-mauricienne du 23 juin 2011 :
- Les « bénéfices réputés distribués » par la société mauricienne à la société établie en France ne constituent pas des « bénéfices » au sens de l’article 7 de la Convention, dès lors qu’il ne s’agit pas d’imposer en France le résultat de la société mauricienne ;
- Les « bénéfices réputés distribués » par la société mauricienne à la société établie en France ne constituent pas non plus des « dividendes » au sens de l’article 10 de la Convention dès lors qu’il ne s’agit pas d’imposer une somme effectivement distribuée par la société mauricienne ;
- Les « bénéfices réputés distribués » par la société mauricienne à la société établie en France constituent donc des revenus innomés relevant du 1 de l’article 22 de la Convention donnant une compétence exclusive d’imposition à la France, en tant qu’Etat de résidence de la société bénéficiaire.
Il est à noter que si le Conseil d’Etat s’est prononcé au regard de la convention fiscale du 23 juin 2011 conclue entre la France et l’Ile Maurice, sa jurisprudence « Société Rubis » a une portée bien plus large.
En effet, en l’absence de clause les visant spécifiquement, les bénéfices réputés distribués à la société française relèvent nécessairement de la « clause balai », quelle que soit la convention fiscale en cause.
Or, sauf à de rares exceptions (Thaïlande, Liban), la « clause balai » confère toujours à l’Etat de résidence de la société bénéficiaire, donc à la France, une compétence exclusive d’imposition.
Il en résulte qu’à l’exception des conventions fiscales franco-thaïlandaise et franco-libanaise qui donnent une compétence exclusive d’imposition à l’Etat source du revenu, la rédaction de l’article 209 B du CGI issue de la loi de finances pour 2005 apparaît parfaitement conforme aux conventions fiscales bilatérales conclues par la France.
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